Zurich
Connu pour son savoir technique, il reçoit parfois des demandes pour la restauration de vieux tableaux et d'icônes, ou encore pour faire bénéficier des élèves de ses connaissances. Il accepte avec gentillesse, sinon toujours avec bonheur, car cela lui prend du temps sur son activité propre. Entre 1950 et 1980, il s'occupe de dix élèves privés auxquels il transmet patiemment son savoir. C'est aussi de cette manière qu'il développe son sens didactique. Ce qui profite à la clarté de ses manuscrits, auxquels il travaille durant des décennies. Et ses trois derniers élèves auront à cœur de l'aider à mener cette tâche à terme.
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Pendant 40 à 50 ans, soit la moitié de sa vie, il a pris des notes, rédigé, corrigé. En 1981, le voilà au bout de ses peines: il met le point final à son manuscrit. Une partie paraît en 1983 aux éditions DuMont, maison de grande renommée, sous le titre Handbuch zur Technik der Malerei (Manuel de la technique picturale). C'est la somme d’expériences uniques en leur genre et de ses études au cours de tant de décennies. Elles ont une valeur exceptionnelle. A côté des trois propriétés connues des couleurs, il en définit pour la première fois une quatrième, qui avait été négligée jusqu'alors: la translucidité.
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Ce faisant, il remet à la disposition des générations futures de peintres le trésor perdu de la technique traditionnelle à couches oléo-résineuses superposées, un héritage culturel spécifique européen.
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L'autre partie du manuscrit Das Wesen der bildenden Kunst (La Nature des Arts visuels) est l'expression d'une philosophie: l'auteur dévoile des malentendus et définit l'art de la peinture par opposition à la musique et à l'architecture. Vietinghoff s'exprime sur l'intuition, la fantaisie et l'imagination, ainsi que sur le «kitsch», la ressemblance avec la nature, et les arts décoratifs. Dans un esprit à la fois critique et combatif, il réfléchit à l'aspect naturaliste ainsi qu'abstrait de l'art pictural.
Sa voie part d'expériences transcendantes spontanées pour le conduire à la «peinture transcendantale» par une vision méditative qu'il présente comme un postulat dans «l'école de la contemplation pure». Il ne s'agit pour lui ni de copier méticuleusement un objet, ni de céder à des représentations intellectuelles ou politiques, et pas davantage à des motifs psychologiques. Ce qu'il défend, c'est la perception strictement visuelle, sensible, qui présuppose le détachement radical du savoir acquis et l'abolition de toute pensée. Le tableau, alors, n'est ni la reproduction de l’objet concret par le truchement d'une observation minutieuse, ni l'illustration d'une idée, mais l'intériorisation du rythme des couleurs tel qu'il est ressenti par l'artiste, un jeu d'ombres et de lumières sur lequel s'ouvre un monde transcendantal. |
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Ainsi, il suit ses grands modèles, dans les meilleures œuvres desquels il reconnaît cette profonde compréhension artistique et leur expérience transcendante.
Ce manuscrit en langue allemande, revu et adapté par Alexander de Vietinghoff en 2001, est publié sur le site Internet de la Fondation Egon von Vietinghoff sous Philosophie / Das Wesen der bildenden Kunst. (La Nature des Beaux-Arts. La deuxième rédaction durant 2015 et la troisième 2017). |
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Les interactions du savoir théorique et du savoir-faire technique se manifestent de plus en plus dans ses œuvres depuis les années soixante. La vie quotidienne de travail dans son atelier apporte son lot d'expériences pratiques et méditatives, qui conduisent à un affinement des anciennes formules, tandis que les réflexions philosophiques sont vérifiées dans le processus pictural lui-même.
Cette synergie accélère l'acte créateur et concentre encore davantage le contenu artistique de ses tableaux, d'où une production augmentée et une qualité encore améliorée. Cela favorise évidemment ses succès de vente, et par voie de conséquence, stimule son élan. |
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Des expositions occasionnelles dans plusieurs villes de Suisse et d'Allemagne du sud, ainsi qu'un accrochage à Paris et un autre à New York, ceux-ci dans les années soixante, lui valent une reconnaissance personnelle, sinon officielle.
Le nom Egon de Vietinghoff est tout au plus mentionné en quelques brèves lignes obligées dans des dictionnaires de peintres, et encore, avec des fautes... Il n'est ni encouragé, ni exposé officiellement et il n'est même plus, depuis longtemps, invité à participer à des expositions collectives. Les demandes qu'il adresse se heurtent à une fin de non-recevoir, quand elles ne sont pas simplement ignorées. Les toiles présentées à un public restreint le sont dans des restaurants et des hôtels. Toutes les autres sont des propriétés privées. |
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En dépit des attaques, il arrive petit à petit à vivre du produit des ventes de ses tableaux, car il est de plus en plus recommandé dans les milieux d’amateurs avertis. Aussi vend-il de nombreuses toiles dans son atelier, parfois encore sur le chevalet et même pas sèches. Ainsi, il est moins dépendant des galeries.
C'est dans la seconde partie de sa vie que Vietinghoff peint les trois-quarts de ses tableaux, car c'est alors qu'il maîtrise sa technique. Ses exigences l'ont depuis longtemps amené à la conviction qu'il doit fabriquer lui-même ses couleurs et ses supports, afin d'obtenir la qualité et l'effet souhaités. L'offre industrielle est inutilisable pour sa manière de peindre. Les substances les plus naturelles possibles créent dès la première application cette impression incomparable de chaleur, cette intensité lumineuse, cette fraîcheur authentique fascinantes. |
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Bien qu'il consacre plus de 50% de son énergie à ces préparatifs artisanaux, son expérience et sa virtuosité lui permettent à partir des années cinquante de créer environ 60 tableaux par an. Dans sa période la plus productive, soit entre 1964 et 1974, il atteint la moyenne incroyable de 75 œuvres par année! Et cela à côté de l'achat de fruits et de matériel, de la préparation artisanale et de la confection des couleurs, à côté aussi des loisirs, de la rédaction de ses manuscrits, des visites et des voyages d'agrément.
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On ne cesse d'être surpris par l'intensité avec laquelle il vit, crée, réagit, et cela même lorsqu'il est plongé dans un livre, qu'il s’entretient sur son balcon avec les oiseaux ou qu'en savourant des spaghettis, il réfléchit aux événements qui agitent la planète.
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A 86 ans, après une période créatrice de 70 ans, il se sépare volontairement de son pinceau et passe encore cinq années chez lui, jouissant d'une santé surprenante, et sans renoncer aux quelque 10 cigarettes quotidiennes (il avait pu en arriver à 50 par jour, et le plus souvent sans filtre), qui l'ont accompagné pendant près de 75 ans.
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Son grand âge lui permet de goûter encore certains fruits de l'œuvre de toute sa vie : en 1989, c'est la création de la Fondation Egon von Vietinghoff (cf. plus loin), en 1990 le catalogue de la collection de sa Fondation, ouvrage de haute qualité imprimé à ses frais, et en 1991 la 2e édition de son Handbuch zur Technik der Malerei (Manuel de technique picturale).
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Lorsqu'il s’éteint, à presque 92 ans, l'œuvre de sa vie consiste en 2.750 huiles – basées sur la technique à couches superposées qui est un héritage spécifique européen.
Ils sont témoins d'un art que l'on avait cru disparu, œuvres d'une valeur fondamentale et intemporelle. |
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