Zurich
Zurich (1937 - 1994)
En 1937, embarqué depuis l'Amérique du Sud sur un cargo belge, Vietinghoff regagne seul l'Europe, après une traversée périlleuse due à des tempêtes inoubliables. Il revient seul en Suisse, chez son père, à Zollikon au bord du lac de Zurich. Mais il loue un atelier en ville, ce qui, par souci d'économies, le contraint à faire à pied plusieurs kilomètres par jour.
En décembre 1937, c'est le recrutement: «taille 1m79, poids 80 kg, incorporation dans le service auxiliaire.» Pendant la 2e guerre mondiale, il fait en moyenne 49 jours de service par an dans l'armée suisse, de garde devant des casernes ou à l’aéroport militaire de Dübendorf, près de Zurich. |
||
Sur le plan affectif, il vit une période particulièrement douloureuse : en effet, après que sa femme et leur fille aient quitté l'Amérique du Sud pour le rejoindre, le bonheur dans un petit appartement de la vieille ville de Zurich est de courte durée.
Il se réinstalle à Zollikon et l'union conjugale avec Marcella est alors faite d'allers et retours, d'attirance irrésistible et de séparations cruelles. Finalement, c'est l'échec et sa femme repart en Argentine avec Jeanne. Pour Egon, le départ de sa fille est un déchirement. Son père, enfin, perd le contact avec la réalité et Egon doit en assumer la tutelle, alors qu'il est de même déjà responsable de son frère Alexis, qui mourra en 1942 après une longue maladie éprouvante. |
||
Mais ce n'est pas tout: la guerre anéantit les espoirs suscités par les offres tentantes de galeries à l'étranger. Depuis la Suisse, il voit les lueurs des bombes incendiaires lâchées par les Alliés sur Munich, et pense avec angoisse aux membres de sa famille qui y vivent. Il rencontre une de ses cousines, qu'il retrouve à la frontière germano-suisse marquée par les fils de fer barbelés qui les séparent. Mais comment lui apporter de l'aide ?
Ses tableaux proposés pour des expositions au musée de Winterthur et de l'Association suisse des artistes peintres sont refusés. Enfin, il n'est pas accepté comme membre de la Société des peintres, sculpteurs et architectes suisses – sans commentaire… |
||
L'Oberdorf où il vit est une partie de la vieille ville de Zurich. Il déménage de la Kirchgasse à la Spiegelgasse, mais la solitude de l'homme dans la force de l'âge et si sensible à la beauté féminine n'est pas non plus de longue durée.
En effet, il mène une vie sentimentale mouvementée : son deuxième mariage avec Heidi Howald, une Suissesse de souche bernoise, prendra assez rapidement fin. Elle est photographe, vivote grâce à des gagne-pain variés et l'aide à mener une vie de bohème à peu près ordonnée. |
||
Mais un tournant est véritablement amorcé et Egon va devenir sédentaire. En 1944, il installe son atelier sur l'autre rive du lac, à Wollishofen, plus exactement à Neubühl. Il y vit de plus en plus au milieu de ses tableaux.
C'est là, à l'Ostbühlstrasse 17, qu'il travaillera jusqu'en 1989. Neubühl est un lotissement d'une conception révolutionnaire pour l'époque, et dont le projet remonte à la fin des années 20. |
||
Premier ensemble moderne en Suisse, il reste unique en son genre : les rangées blanches, dans le style du Bauhaus, épousent la ligne de la colline qui forme la frontière verte de la ville. Les appartements sont à la fois fonctionnels et confortables, et les locataires-coopérateurs en apprécient les qualités pratiques.
L'architecture d'avant-garde aux toits plats, une série d'ateliers et la situation idyllique attirent alors nombre de comédiens, de metteurs en scène, d'écrivains, de musiciens, d'architectes, de sculpteurs et d'artistes peintres – en particulier issus des milieux d'émigrés. |
||
Pour ce citoyen suisse à demi germain d'origine, la fin de la guerre présente une douloureuse ambivalence. Mais pour l'Européen avant tout pacifiste, c'est la fin d'un indescriptible cauchemar.
Il fait dans sa parenté la connaissance de l'Allemande Maria Juliana (Maritta) Foerster, âgée de 18 ans, qui, après sa fuite de Silésie et la famine dans une Allemagne détruite, séjourne en Suisse pour se remettre des années de guerre. C'est elle, dont la mère était née Vietinghoff, qui va devenir la troisième femme d'Egon. Le divorce d'avec la deuxième n'est qu'une formalité: une autre passion l'avait déjà détourné de Heidi. |
||
En 1948, ils s'installent à Neubühl, à une minute à pied de son atelier. Mais la vie conjugale avec la mère de son fils Alexander, de 26 ans sa cadette, est aussi passionnée que rapidement terminée, et le procès en divorce sera particulièrement cruel. Il obtient enfin la garde de leur enfant.
|
||
En 1952, sa fille vient d'Argentine passer trois ans à Zurich. La même année, il fait la connaissance de Liane Charlotte Lenhoff, une Autrichienne de Salzbourg, et l'année 1954 enrichit sa vie mouve-mentée d'une quatrième union conjugale.
C'est là un nouveau départ qui transforme sa vie. Et qui marque son œuvre tant par le style que par l'abondance de sa création. Et cela se reflète dans le chiffre de ses ventes. Il déménage pour la dernière fois à la Westbühlstrasse 40, où il vivra jusqu'à son dernier souffle avec Liane. Il trouve en elle une compagne débordante de vitalité, férue d'excursions en montagne, habile de ses mains : elle sait en effet relier en cuir quelques-uns des livres qu'il préfère (Kant, Schopenhauer, Goethe, Grimmelshausen, Bjørnson, Tolstoï, Gogol, Tagore et Jeanne de Vietinghoff, sa mère), tisser des étoffes et des châles aussi bien que taper ses manuscrits, l'accompagner avec bonheur dans ses voyages et l'assister efficacement dans la vente de ses tableaux. |
||
Elle lui rapporte de ses promenades et de son jardin des fruits sauvages et des fleurs, qui lui servent de modèles pour ses natures mortes et ses bouquets.
Car pour chaque toile, il lui faut le contact visuel direct – excepté lorsqu'il s’agit de personnages tirés de son imagination. |
||
Après sa jeunesse mouvementée, les rudes circonstances qu'il a connues l'incitent à plus de calme : décès, divorces, conséquences de la guerre l'ont marqué. Il découvre enfin une vie de famille équilibrée pendant les années scolaires de son fils, ce qui lui permet de se concentrer totalement sur son œuvre.
|
||
Dans son atelier, il vit des journées de travail intensif et discipliné, entouré d'outils, du réchaud à chauffer la colle, des panneaux d'aggloméré, des toiles à peindre, des pots de pigments, des tissus de velours qui forment l'arrière-plan de ses motifs, des cadres et des bouteilles, coupes, cruches et assiettes que l'on retrouve toujours dans ses tableaux.
|
||
Sa vie sédentaire ne l'empêche pas de voyager – en train au début, puis à bicyclette ou à Vespa (scooter), et dès 1959 en voiture. Il parcourt ainsi la Suisse, mais également la Belgique, la Hollande, la France et le Portugal, toujours séduit par les cathédrales, les châteaux et les hôtels de ville, mais aussi par les plaisirs de la table! Il ne néglige pas non plus les traces du baroque en Autriche et dans le sud de l'Allemagne.
|
||
Mais il est surtout attiré par les sites légendaires de la culture européenne, et se rend également en pèlerinage sur les lieux qui ont compté pour lui dans sa jeunesse. En Grèce, en Italie du sud et en Turquie, il est émerveillé par les temples et les statues de l'Antiquité qu'il considère comme des sommets de la création humaine. Le monde arabe le fascine également depuis sa découverte du Maroc en 1920/21, qu'il visitera de nouveau 60 ans plus tard, à l’occasion de son 80e anniversaire. Toujours grand admirateur de l'Espagne et de sa culture, il y retourne trois fois. Pendant longtemps, il se rend presque chaque année en Italie: son sens artistique et son enthousiasme le conduisent vers les églises romanes, les richesses qu'offrent les fresques, et les vastes places qui correspondent si bien à sa nature généreuse.
|
||
Il a pour les beautés des paysages le regard de l'artiste peintre. D'autre part, il ne rate jamais l'occasion de revoir les chefs-d'œuvre des maîtres anciens qui lui tiennent tant à cœur. Aussi court-il les musées, que ce soit à Winterthur ou à Vaduz, à Kassel, Berlin ou Vienne, à Anvers ou Amsterdam, à Florence ou Rome, à Londres ou Madrid – et d'innombrables fois au Musée du Louvre à Paris.
Mais il assouvit aussi sa soif d'impressions visuelles dans ses heures de détente – il va volontiers au cinéma, ainsi que dans les cafés où il observe l'humanité qui les fréquente. Et s'il n'est pas en train d'observer, il lit, et relit en allemand ou en français les grands classiques de la littérature mondiale. Ou il rêve à des nouveaux voyages. Ou il se consacre à sa vaste collection de timbres-poste. Ou il joue aux échecs avec des voisins. Ou encore, il invente des blagues... |
||