Enfance
Enfance (1903 - 1919)
Egon Arnold Alexis de Vietinghoff naît le 6 février 1903, peu avant minuit, à La Haye, dans la maison de sa grand -mère,
Javastraat 28. Lieu de naissance à valeur symbolique: c'est la résidence de la famille royale hollandaise, le siège d'organisations internationales et la ville où se sont tenues les Conférences de la Paix de 1899 et de 1907. Elle incarne l'esprit libéral, l'ouverture sur le monde et une longue tradition culturelle. |
||
Scheveningen, la proche station balnéaire la plus célèbre du pays, est le lieu de rencontre de la high society, dont la famille d'Egon fait partie. A un kilomètre en ligne droite de sa maison natale se dresse le Palais Mauritshuis, musée royal de peinture, qui renferme une collection exceptionnelle de tableaux de maîtres principalement hollandais et allemands.
Ils deviendront plus tard les modèles d'Egon, qu'il étudiera inlassablement: Rembrandt, Vermeer, van Goyen, Rubens, Bruegel, van der Weyden, van Dyck, Hals, Holbein. |
||
Egon passe ses premières années avec son frère cadet Alexis à Paris, dans le 17e arrondissement, où leurs parents s'étaient installés quelques années auparavant dans un immeuble moderne. Ils lui ont légué leurs dons artistiques. Son père Conrad, germano-balte, est un pianiste extrêmement doué, sa mère Jeanne, belgo-hollandaise, un écrivain-philosophe. Leur maison est ouverte à de nombreux artistes et ils entretiennent des liens d'amitié avec des personnalités célèbres de l’époque, tels les Prix Nobel de littérature Romain Rolland et Maurice Maeterlinck, l'écrivain Guy de Pourtalès et les musiciens Carl Schuricht, le chef d'orchestre, et Pablo Casals, le violoncelliste, avec lequel Conrad fera de la musique et correspondra pendant cinquante ans.
|
||
Conrad et Jeanne quittent Paris pour Wiesbaden (Allemagne),
alors en plein développement, où ils s'installent en 1907 dans une villa au milieu d'un parc voisin du centre thermal. Ils voyagent beaucoup dans les provinces baltes, en Allemagne, en Hollande, en Belgique, en France, en Italie et en Suisse. Comme ils sont citoyens de l'empire russe, chaque déplacement hors des frontières est précédé de formalités interminables. Qu'il s’agisse de vacances ou de la visite d’amis et de membres d’une famille riche en ramifications, un visa de sortie, de transit ou de rentrée est indispensable. |
||
En novembre 1913, ils se rendent en Suisse, où ils se fixent à Genève. Ce qui les y attire: l'atmosphère internationale, mais aussi la crainte née de la situation politique – le conflit s'annonce. En outre, Egon souffre d'une affection tuberculeuse qui requiert l'air de la montagne, où il peut faire plusieurs séjours.
C'est donc à Genève qu'ils vivront le début de la Première Guerre mondiale (le père d’Egon saute dans le dernier train de Hollande, où il avait encore une fois brièvement séjourné, pour la Suisse où se trouvent déjà sa femme et leurs enfants). |
||
Jusque là, Egon n'a connu que des gouvernantes et des précepteurs. Il quitte sa famille pour sa première école, un internat très coté à Zuoz, dans les Alpes grisonnes.
Ses parents ayant entre-temps quitté Genève pour Zurich, il y fréquente le Gymnase dès 1917. Tout jeune déjà, Egon de Vietinghoff s'essaie à la peinture. Nous ignorons les résultats de ces premières tentatives. A-t-il été encouragé par le fait qu'un de ses maîtres lui ait acheté deux toiles? Toujours est-il que son ardent désir d’exercer une activité artistique ne le laisse plus en repos. Et il n'ira pas jusqu'à la fin de sa scolarité. Il abandonne l'école à 16 ans sous l'emprise de sa volonté d'embrasser une carrière d'artiste, et de sa conviction intime que là est sa vocation. |
||
«Comme ma faculté d'appréhender le monde a toujours été visuelle, que je n'étais pas doué pour la parole et que le sens pratique me faisait défaut, il allait de soi que mon élan créateur ne pouvait tenter de se manifester que dans les arts plastiques, sculpture et peinture.»
«Quant à la question de savoir comment j'en suis arrivé à devenir peintre, la réponse est liée à l'intensité de ma sensibilité face à la vie. En effet, l'acte créateur n'est que l'expression de l'élan vital qui cherche à se manifester par une œuvre artistique.» |
||
Après un début dans l'atelier d'un sculpteur, Egon opte pour la peinture. A part les exercices habituels que constitue la représentation de bouteilles, de cruches et de pommes, il est assez rapidement recherché comme portraitiste et a la possibilité d'exposer les prémices de son art. Il n'a que 18 ans lorsque certaines de ses toiles figurent dans une exposition collective au Kunsthaus de Zurich et deux ans plus tard dans des galeries au Tessin et à Düsseldorf.
On ignore comment, en dépit de son jeune âge, de son manque de formation spécifique et de cette technique particulière qu'il acquerra après des décennies, il a réussi ce tour de force. Etait-ce dû aux relations de ses parents, ou plutôt à la qualité de ses prestations? Certainement aussi à sa propre initiative, à son sérieux et à son dynamisme. |
||
Plus tard, alors qu'il pouvait faire valoir beaucoup plus de métier, les portes des galeries ne s'ouvrirent plus aussi aisément.
Lors d'une exposition de la Société suisse des beaux-arts, ses toiles seront refusées sans commentaires, de même que la qualité de membre de la Société des Peintres, Sculpteurs et Architectes Suisses. Un galeriste connu, à Zurich, lui avoua honnêtement un jour: «Vos tableaux sont certes remarquables, mais je ne peux pas me permettre d’exposer ces œuvres – concrètes –, car toute la presse me cracherait à la figure et je mettrais ainsi en jeu ma réputation internationale.» |
||
«Mon désir d'accomplir de grandes choses dans ces domaines ne connaissait alors aucune limite: je façonnais en terre des groupes grandeur nature, que je faisais mouler dans du plâtre, et j'ébauchais des tableaux gigantesques qui dépassaient les dimensions des locaux disponibles. Je dus pourtant rapidement me rendre à l'évidence: mes connaissances en sculpture et en peinture ne suffisaient pas pour réaliser ma vision par des objets d'une telle envergure, et il me manquait surtout le savoir-faire dans le domaine du dessin, qui est la base de ces deux formes d'art.
Aussi me suis-je lancé avec passion dans le dessin d'après nature, travaillant sans relâche des semaines durant à reproduire les courbures du tronc d'un olivier, m'acharnant à copier avec la plus grande fidélité les contours d'un vase. Ce qui me fit perdre et la libre perception de l'objet, et la distance nécessaire par rapport à lui, qui sont capitales pour toute activité artistique.» (Egon de Vietinghoff) |
||