Jeanne de Vietinghoff, la mère
…. L'Intelligence du Bien parut en 1910. Ces trois premiers volumes sont de ceux qu'il est bon de lire et de relire; ils constituent, pour les esprits auxquels ils sont familiers, des livres de chevet où l'on peut puiser la force et le secours dans les heures difficiles.
Mme de Vietinghoff a publié un roman, L'Autre Devoir … où l'on trouve exposée longuement et pour ainsi dire illustrée par des faits, une thèse qui lui a été chère, d'après laquelle tout être humain a non seulement le droit, mais le devoir de parvenir au maximum de développement intellectuel, moral et physique qu'il est susceptible d'atteindre, et de s'assurer, dans ce but, tout le bonheur auquel il peut prétendre sans porter toutefois atteinte à celui d'autrui. L'héroïne, après de vaines tentatives pour s'adapter à sa destinée, renonce pour s'émanciper à une existence qui la retient prisonnière dans ses étroitesses. Après de grandes joies, elle se heurte à de plus grandes déceptions; elle revient résignée au foyer abandonné pour s'y dévouer, persuadée de la relativité des choses, l'âme grandie. Au Seuil d'un Monde Nouveau est un ouvrage plus considérable que les précédents. Le bouleversement du monde après la Grande Guerre l'a inspiré. Il a paru en 1921. Devant des désastres moraux et matériels qui semblaient irréparables, Mme de Vietinghoff a cherché des sujets d'espérance, de renouvellement intérieur, de reconstitution, et, faisant appel à tout ce que l'humanité possède en soi de grandeur, de courage, de fraternité, de bonne volonté, elle a élaboré un projet généreux d'efforts spirituels pour aider au relèvement des ruines. Mme de Vietinghoff a dédié ce livre à ses deux fils. Elle a été pour eux une mère touchante d'affection et de sollicitude. Malgré le travail, les voyages, les amis et les admirateurs toujours plus nombreux assiégeant sa demeure, elle s'est occupée d'eux, elle les a soignés et suivis, elle les a élevés. Son meilleur moyen d'action sur eux était l'exemple qu'elle leur donnait. Elle les comprenait toujours et ils n'avaient pas de secrets pour elle; elle n'a jamais entravé leur développement, la liberté de leurs croyances et de leur vie. La communion était si parfaite entre eux qu'ils s'entendaient sans rien se dire. |
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Elle se sentait fatiguée et souffrante depuis longtemps, quand, pendant l'automne de 1925, les premiers symptômes de la maladie qui devait l'emporter en pleine force, en plein talent, se manifestèrent. Elle travaillait à un nouveau recueil de pensées qu'elle n'a pu achever et dont les feuilles éparses ont été pieusement recueillies par les siens. Cette noble femme se montre, dans les pages qui suivent cette courte notice plus courageuse, d'un niveau spirituel toujours plus élevé. Il en est d'une tendresse exquise, d'autres d'une ironie douloureuse; il s'y trouve d'adorables descriptions de paysages faisant tableau en quelques lignes, des aspirations vers l'idéal, des envols de pensée où on sent l'auteur tout près de la perfection.
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Après quelques mois de maladie, aucune amélioration ne survenant, Mme de Vietinghoff exigea des médecins qui la soignaient la vérité sur son état. Devant son insistance, ils lui avouèrent qu'à moins d'un miracle, elle ne pouvait guérir. Elle accepta l'arrêt héroïquement. … Peut-être puisa-t-elle uniquement en elle-même la force admirable, la vaillance, la sérénité dont elle fit preuve dans ces circonstances tragiques.
La mort la prit lentement et bien avant l'heure, une mort cruelle qu'elle a acceptée avec résignation et douceur. Elle ne pouvait presque plus parler que ses yeux profonds, ses mains blanches et faibles, faites pour caresser, exprimaient encore sa tendresse et ses espérances à ceux qu'elle aimait et qui avaient le douloureux privilège de l'assister. |
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Ce qu'il y a de plus remarquable en Jeanne de Vietinghoff, ce n'est pas son talent ni ses capacités, quelque merveilleux qu'ils aient été, c'est l'attraction, l'ascendant qu'elle a exercé sur tous ceux qui l'approchaient et qui aspiraient à des progrès intellectuels ou moraux. Elle leur transmettait le pouvoir de marcher sur ses traces, elle leur frayait le chemin. Elle a su par de réels dons littéraires extérioriser les nobles sentiments qui l'animaient et les faire partager à une élite, elle a été l'âme d'un grand nombre de ses contemporains et son œuvre restera. Bénis soient ceux qui, comme elle, ont apporté dans le monde l'accord pour le bien, l'amour du travail, le désir du progrès pour soi-même et pour tous.
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Bibliographie
• Biographies sur Marguerite Yourcenar
• Les œuvres de Jeanne de Vietinghoff • Le livre de Christine Mary McGinley • Autres publications |
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Biographies sur Marguerite Yourcenar
Une biographie de Marguerite Yourcenar est impensable sans des recherches et des approfondissements au sujet de Conrad et de Jeanne, les parents du peintre Egon de Vietinghoff. C'est la raison pour laquelle on trouvera ici la liste de quelques biographies où ils sont mentionnés. Josyane Savigneau Marguerite Yourcenar – L'invention d'une vie, Gallimard, Paris 1990. # Traduction allemande: Marguerite Yourcenar – Die Erfindung eines Lebens, Carl Hanser Munich 1993 (idem éd. Fischer 12559, Francfort-sur-le-Main 1996) (idem éd. Fischer 13558, Francfort-sur-le-Main 1997) ## Traduction anglaise: Marguerite Yourcenar: Inventing a Life ## Traduction espagnole: La invención de una vida Michèle Goslar Yourcenar – Qu'il eût été fade d'être heureux, Éditions Racine et Académie royale de langue et littérature françaises, Bruxelles 1998. # Traduction allemande: Yourcenar – . # Traduction italienne: Yourcenar – Sarebbe stato insipido essere felice, Éditions Apeiron Rome 2002 # Traduction espagnole: Marguerite Yourcenar – Qué aburrido hubiera sido ser feliz, Paidós Testimonios, 2002 Marguerite Yourcenar et les von Vietinghoff, Bulletin no. 18, CIDMY, Bruxelles 2012 Michèle Sarde, Vous, Marguerite Yourcenar – La Passion et ses masques, Laffont Paris 1995 Georges Rousseau, Yourcenar (anglais, original), Life & Times, Haus Publishing London 2004 Dietrich Gronau, Marguerite Yourcenar – Wanderin im Labyrinth der Welt (allemand, original), Biographies éd. Heyne 225, Munich, 1992 |
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Remarques supplémentaires
1. Conrad de Vietinghoff et ses ancêtres directs ne sont pas originaires de Courlande mais de la partie de la Livonie qui appartient aujourd'hui à la Lettonie. 2. Les noms «de Reval» et «de Wolmar» n’existent pas dans l’aristocratie allemande ; le nom «de Géra» existait dans l'aristocratie autrichienne : ce sont seulement des allusions de M. Y. à l'origine des Vietinghoff. Les ancêtres de Conrad ne descendent pas de la branche estonienne de la famille. Wolmar est le nom allemand de la ville de Valmiera au nord de la Lettonie ; elle était le lieu de commerce le plus proche du manoir de Salisburg (aujourd'hui Mazsalaca). 3. Conrad n'allait pas au conservatoire de Riga, mais avait étudié brièvement les sciences économiques et agronomiques à Dorpat (aujourd'hui Tartu), et plus tard l'histoire de la musique à Leipzig et Berlin. Il y prit des leçons de piano – ce qu'il fit aussi à Rome. 4. Les escapades supposées de Conrad ne sont nullement prouvées et émanent plutôt de l'imagination de Marguerite Yourcenar qui avait gardé un goût certain pour certaines aventures, même d'un âge avancé. C'était sa liberté d'auteure que de présenter dans ses romans Conrad de cette manière, alors que les récits de ses proches et d'un de ces plus intimes amis font surgir une image très différente. Même si cela paraît difficile à imaginer de nos jours, il est très probable que Conrad n'avait guère vécu ses désirs physiques, mais avait, à l'instar de Thomas Mann, son contemporain, sublimé son attirance pour les hommes à travers son art. 5. Conrad, Jeanne et les deux fils ont déménagé en Suisse en 1913 et non seulement à l’éclatement de la Première Guerre mondiale, en 1914. Mais Conrad quitta les Pays-Bas où il s'était rendu en solitaire, par le dernier train direction domicile conjugal à Genève, juste avant la fermeture des frontières. 6. Durant la Première Guerre mondiale, Conrad, tout philanthrope et pacifiste, était à la disposition de la Croix Rouge à Genève. Personne n’étant disposé à s’occuper du courrier des Allemands internés, et Conrad passant pour un original loin de la réalité, il s'était fait dénoncer par une voisine et avait dû passer, avec un parent éloigné également d'origine germano-balte, par un procès d'espionnage absurde et pénible. Sans résultat aucun! Nous ne savons pas qui est responsable de l'hypothèse qui prétend que Conrad aurait cherché à la Croix Rouge un «partenaire à Wiesbaden». En tout cas, cette supposition ne correspond pas à l'histoire racontée à plusieurs reprises par son fils Egon, le peintre, qui avait déjà entre 12 à 14 ans, et qui se trouvait proche des évènements. 7. La naturalisation suisse de Conrad, Jeanne et les enfants fut demandée seulement en 1918, après la Première Guerre mondiale. Elle ne leur fut attribuée qu'en 1922, alors qu'ils habitaient Zurich depuis déjà presque trois ans. 8. On peut lire que Jeanne de Vietinghoff et Michel de Crayencour étaient liés par une «amitié passionnée», voire, pour un temps limité, par un «grand amour». C'est l'idée de M. Yourcenar elle-même. On sait aussi que cette écrivaine mêlait dans toute son œuvre fiction et vérité à dessein. Il paraît donc étonnant avec quelle assurance cette soi-disant passion est affirmée. D'un point de vue psychologique, il paraît logique que Marguerite, orpheline du côté maternel, a souhaité avoir un «couple parental», son père et Jeanne, qu'elle considérait comme sa «mère rêvée», et ne fut-ce que dans son imagination. Curieusement, on parle toujours de la passion de Michel, sa réputation d'homme à femmes étant acquise. Mais qui sait si Jeanne, qui se définissait elle-même par des valeurs spirituelles différentes, avait répondu à ses avances? L'ouvrage de Jeanne «L’Autre devoir», n'apporte pas de preuve, car il s'agit également d'un roman dans lequel ce qui est décliné et sublimé peut s'apparenter à l'imaginaire. Ni l'un ni l'autre ne sont aujourd'hui vérifiables. 9. L'idée d’un ménage à trois est également très discutable. Si un tel arrangement pourrait correspondre à la personnalité et au style de vie de Michel, il n’y est qu'insuffisamment tenu compte de la situation d'une femme et mère d'un enfant d'un an dans la société de l'époque et du profil psychologique de Jeanne, alors encore fortement marquée par des conventions sociales. 10. Il en va de même pour le poème de l'été 1904. Premièrement, il n'est pas exclu qu'elle l'ait écrit elle-même et l'ait, dans son roman, fait dire par son père. Deuxièmement, si le poème témoigne de sentiments exaltés de Michel, rien ne laisse entendre que ses sentiments aient été partagés par Jeanne. 10a) Il en va de même pour la lettre de Jeanne à Michel de 1905; elle est probablement une invention de M. Y. elle-même. La datation de 1905 est peu plausible. 11. La datation des photos de Marguerite et d'Egon sur la plage de Scheveningen a été établie à partir de l'âge des enfants. Il n'est pas nécessaire d'avoir recours au poème susmentionné, car il pourrait avoir été écrit plus tôt, pour autant que Michel en soit l'auteur véritable. En été 1904, Egon avait au maximum un an et demi, ce qui ne correspond pas à la taille de l'enfant sur la plage. La photo montrant selon l'opinion concordante de plusieurs mères, un garçon de deux ans et demi et une fillette de deux ans. 12. La datation présumée des photos de Jeanne et Fernande, les deux debout, avec une amie commune assise au milieu (M. Goslar, Bulletin Cidmy no.18, p.14), permet d'établir uniquement que les deux femmes s’étaient rencontrées vers 1902, peut-être même à l'occasion des noces de Jeanne et Conrad, ou peu après. Toutefois, cette datation ne saurait servir en aucun cas d'argument pour avancer la thèse d'un contact fréquent entre les deux couples, et encore moins celle d’un début de relation amoureuse entre Jeanne et Michel. 13. Egon de Vietinghoff était un peintre figuratif et non pas naturaliste ! Il attachait une grande importance à cette distinction. Dans son manuscrit «Vision et représentation» (publié en allemand sur www.vietinghoff.org), le peintre a définit la différence entre le fait de copier des objets, à savoir entre l'imitation méticuleuse de la nature et la création libre, inspirée par l'imagination, voire l’intuition artistique. Il qualifie cette conception de l’art comme «peinture transcendantale», résultat de ses études en profondeur notamment des toiles de Rembrandt, Rubens, Hals, Titien, Chardin, Vélasquez et Goya. Pour Egon de Vietinghoff; l'art «naturaliste», reflet d'un travail assidu, se limite à produire des tableaux plus ou moins parfaits sur le plan de la technique, mais qui ne rendent que la surface des objets. Alors que l'art «transcendantale» rend compte d'expériences intérieures, rejaillissement de l'immersion méditative dans le drame des formes, des couleurs et de la lumière. Art figuratif et ressemblance avec la nature ne sont pas identiques au naturalisme. Dans ce sens, l'art d’Egon de Vietinghoff n'est pas naturaliste. 14. La «Fondation Egon von Vietinghoff» a été fondée le 8 mars 1989 par l'artiste lui-même, et non pas posthume par son fils. Le peintre ne s'est éteint que le 14 octobre 1994. |
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Jeanne de Vietinghoff écrivait ses livres en français.
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Les œuvres de Jeanne de Vietinghoff
1) Impressions d'Ame, Librairie Fischbacher, Paris, 1909 (4 éditions) 2) La Liberté intérieure, Librairie Fischbacher, Paris, 1912 (8ième édition 1925) 3) L'Intelligence du Bien, Librairie Fischbacher, Paris, 1915 (8 éditions) 4) Au Seuil d'un Monde Nouveau, Librairie Fischbacher, Paris, 1921 (2ième édition 1923) 5) L'autre Devoir – Histoire d'une âme, Editions Forum, Genève, 1924 6) Sur l'Art de vivre, Librairie Fischbacher Paris, 1927 (posthum) |
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Traductions des œuvres de Jeanne de Vietinghoff
Traduction allemande Die Weisheit des Guten, Rascher Verlag Zurich, 1919 Traduction anglaise The Understanding of Good (Thoughts on Some of Life’s Higher Issues), John Lane Company, London & New York, 1921 The Understanding of Good (Thoughts on Some of Life’s Higher Issues), Réédition avec une introduction par Christine Mary McGinley, Gleam of Light Press, LLC, Lakeland, Michigan, USA, 2016 Traduction néerlandaise De Wijsheid van het Hart, Ploegsma Zeist, 1924 |
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Christine M. McGinley The Words of a Woman
The Words of a Woman, A literary mosaic, New York 1999, Crown edition L'auteure commence par développer ses propres pensés avant de se tourner vers la littérature féminine mondiale. Près d'un tiers du livre consiste en citations d'écrivaines renommées, telles que Lou Andreas Salomé, Hannah Arendt, Simone de Beauvoir, Charlotte et Emily Brontë, Doris Lessing, Anne Morrow Lindbergh, George Sand, George Eliot, May Sarton, Simone Weil, Virginia Woolf, Marguerite Yourcenar. On y trouve également l'esprit de Marie Curie, Isadora Duncan, Florence Nightingale ou Aung San Suu Kyi. C'est une citation de Marguerite Yourcenar qui attira l'attention de l'auteure sur la traduction en anglais de L'Intelligence du Bien, œuvre de Jeanne de Vietinghoff. Un quart de toutes les citations en sont tirées. Dans la partie consacrée à chacune de ces personnalités, Christine Mary McGinley reconnaît: Néanmoins, de toutes les centaines d'œuvres remarquables que j'ai lues, ce sont les siennes qui m'ont fait comprendre l'impulsion d'écrire nos vérités les plus profondes. Car si, au fil du temps, une seule personne est touchée par nos écrits comme je l'ai été par celui de Jeanne de Vietinghoff, alors notre contribution à la vie aura été immense. …. Son amour (de Jeanne) et sa foi n'ont pas connu de limites; ils l'ont totalement investie et ont rayonné comme une force vitale jaillie de la source infinie à laquelle elle se vouait. Je ne puis exprimer autrement mes louanges qu'en affirmant ceci: de l'avoir connue fait que je ne serai plus jamais la même. (Traduction: Hélène Räber) |
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Autres publications
Michèle Goslar, Marguerite Yourcenar et les von Vietinghoff CIDMY bulletin no.18, 2012 La directrice du CIDMY, Madame Michèle Goslar, a écrit cette brochure tout à fait attrayante qui, en plus des informations connues jusqu’à présent, comble de vraies lacunes, accumulées pendant de nombreuses années. La brochure contient des photos de personnes, des reproductions de dessins de Jeanne, de peintures de Egon v. V., et les facsimilés du premier manuscrit de "En mémoire de Diotime: Jeanne de Vietinghoff" et de la correspondance entre Egon v. V. et Marguerite Yourcenar qui avaient été transférés dans les archives CIDMY. En outre elle compare les idées essentielles développées dans les livres de Jeanne de Vietinghoff avec certains leitmotivs de l’œuvre yourcenarienne. Malheureusement, dans la hâte de la réalisation et sans avoir eu l’occasion de vérifier, plusieurs fautes et inexactitudes se sont glissées dans le texte, qui ne peuvent rester sans commentaire. Table des matières 1. Présence de la famille von Vietinghoff dans l'œuvre de Marguerite Yourcenar 2. Les faits biographiques 3. Jeanne de Vietinghoff 4. Jeanne de Vietinghoff, écrivain 5. Jeanne assimilée à Diotime 6. "En mémoire de Diotime: Jeanne de Vietinghoff" 7. Correspondance Egon de Vietinghoff / Marguerite Yourcenar |
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Citations
Les von Vietinghoff, et surtout Jeanne, sont omniprésents dans l'œuvre de Yourcenar, depuis son premier récit, Alexis, jusqu'à son dernier roman, Quoi? LEternité .... M. Y. avoue très franchement à J. Carayon que "Monique de Wolmar" sera le nom sous lequel apparaîtra Jeanne dans Souvenirs pieux ... Entre temps, elle avait changé sa dénomination: Cette femme remarquable à plus d'un point de vue est la Monique G. de Souvenirs pieux, compagne de Fernande au Sacré-Cœure... Adolescente, je voyais en elle un modèle d'intelligence et de bonté féminines, de sorte que son influence a été grande sur moi. Lettre de Jeanne à Conrad (28. 12. 1919): "Je commence à saisir qu*il existe quand-même une grand joie intérieure indépendante de l'amour. C'est comme une commotion avec l'éternel, quelque chose de sacré que l'on emporte toujours avec soi et que l'on peut ressentir dans le pire dépouillement". |
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Remarques et corrections
1. Conrad de Vietinghoff et ses ancêtres directs ne sont pas originaires de Courlande mais de cette partie de la Livonie qui appartient à l’actuelle Lettonie. 2. Les noms "de Reval" et "de Wolmar" n'existent pas dans la noblesse allemande, et le nom "de Gera" avait cours en Autriche. Il s'agit là des associations de M. Yourcenar pour évoquer l'origine des Vietinghoff. Les ancêtres de Conrad ne descendent pas de la branche estonienne de la famille. Wolmar est le nom allemand de l'actuelle ville de Valmiera en Lettonie du Nord: c'était la ville la plus proche pour les approvisionnements depuis le château de Salisburg (aujourd'hui Mazsalaca). 3. Conrad n'a pas fréquenté le Conservatoire de Riga, mais il a étudié l'économie à Dorpat (aujourd'hui Tartu) pendant quelque temps. Plus tard, il a fait des études l’histoire de la musique à Leipzig et à Berlin, où il a pris également des leçons de piano, tout comme à Rome. 4. Les prétendues "escapades" de Conrad ne sont nullement attestées et jaillissent de la fantaisie de Marguerite Yourcenar, qui, même à un âge avancé, n'était pas dévavorable aux certaines aventures. C'était, il est vrai, son droit d'auteur de représenter ainsi Conrad dans ses romans; cependant, une toute autre image de lui se dégage d'après les récits des siens ou de l'un de ses amis les plus proches. Il est très probable que, à l'instar de Thomas Mann, il sublimait son attrait pour les hommes surtout dans son art – du moins durant les dernières décennies de sa vie – et qu'il ne vivait pratiquement pas ses désirs physiquement, même si cela est à peine concevable aujourd'hui. L'adjectif "notoire" que son médecin a accolé à la notion d' "uraniste" (homosexuel) peut être entendue, dans un sens neutre voire positif, comme "bien connu, ouvert" ou, dans un sens négatif, comme "notoire, tristement célèbre". Sans aucune raison valable, M. Goslar semble pencher pour la seconde possibilité. 5. Conrad, Jeanne et leurs deux fils ont quitté Wiesbaden pour aller à Genève en 1913 déjà, et non au début de la Première Guerre mondiale en août 1914. Lorsque la guerre a éclaté, Conrad a rejoint sa famille en Suisse par le dernier train, juste avant la fermeture des frontières puisqu'il était justement en voyage en solitaire à ce moment-là. 6. Pendant la Première Guerre mondiale, Conrad, tout philanthrope et pacifiste, s'est mis à disposition de la Croix Rouge à Genève. Il y avait peu de volontaires pour trier le courrier des internés allemands; d'autre part, original, un peu naïf et éloigné de la réalité, il était difficile à classer, si bien qu'il fut dénoncé par une voisine. Avec un parent germano-balte, ils ont eu pas mal de peine à se défendre contre l'accusation d'espionnage. Naturellement, les investigations n'ont abouti à rien. D'autre part, nous ne savons pas qui a lancé l'hypothèse que Conrad aurait cherché à trouver un partenaire à Wiesbaden, en passant par quelque organisation. En tous cas, cette supposition ne correspond pas à l'histoire racontée à plusieurs reprises par son fils Egon, le peintre, qui, âgé entre 12 et 14 ans à l'époque, était présent lors de ces événements. 7. Conrad, Jeanne et les enfants n’ont fait la demande de naturalisation suisse qu’après la guerre et l’ont obtenue en 1922, alors que la famille vivait déjà depuis environ trois ans à Zürich. La maison à la Böcklinstrasse fut effectivement achetée en 1918. 8. Dans une lettre de 1973 adressée à une amie, M. Yourcenar écrit qu'une amitié passionnée, grand amour peut-être a existé entre Jeanne de Vietinghoff et Michel de Crayencour. Cette idée est développée par M.Y. elle-même dans "Souvenirs pieux", une saga familiale. Il est bien connu que, tout au long de son œuvre, elle mêle volontiers et à bon escient l’invention à la vérité. Ses recherches historiques à la base de ses romans sont admirables; pourtant elle fait passer parfois comme vérité des soi-disant "faits" dont le rôle était simplement de renforcer l'aspect véridique, comme par exemple le commentaire au "Coup de grâce", qui, sous l'apparence d'une explication tout à fait sérieuse, fait déjà partie du roman lui-même. Ceci mis à part, ce serait tout à fait dans la simple logique psychologique que Marguerite, orpheline de mère, ait désiré Jeanne, la mère rêvée, aux côtés de son père, ne serait-ce que dans son imagination. Son père lui racontait-il vraiment, expressis verbis, des aventures intimes avec Jeanne ou ne lui parlait-il "que" de ses sentiments passionnés? Etrangement, on ne considère que les sentiments du père, un bon vivant, un homme à femmes. Qui peut savoir ce qu'il racontait à sa fille, adolescente encore, et que savait vraiment celle-ci sur Jeanne? Est-il même sûr que Jeanne, avec ses préoccupations spirituelles focalisées ailleurs, répondait aux avances de M. de Crayencour, comme le souhaitait celui-ci, et peut-être sa fille aussi? Il parait donc étonnant avec quelle assurance une mutuelle passion est affirmée. 9. Le livre de Jeanne L'Autre devoir ne peut pas, lui non plus, être une preuve, puisqu'il s'agit également d'un roman, basé possiblement sur des envolées imaginatives et sublimées. Considérer un roman comme preuve d'une histoire d'amour réelle, c'est bien l'approche favorisée par Michèle Goslar, mais c'est là le fruit d'une méthodologie tout à fait discutable. La note 3 à la page 12 constitue une contradiction en elle-même: L’aventure est relatée dans le seul roman de Jeanne de Vietinghoff, L'Autre devoir. On ne peut certifier ni une passion commune des deux protagonistes, ni un béguin du seul côté de Michel. Ni l'un ni l'autre ne sont aujourd'hui vérifiable. Une longue relation extraconjugale de la part de Jeanne nous paraît, cependant, tout à fait improbable. A comparer les deux fragments déjà cités concernant Valentina dans Ana, soror… : Elle était chaste par dégoût du facile … et Plotina dans Mémoires d'Hadrien: … elle n'avait pas non plus mon goût passionné des corps. 10. L'idée d'une relation à trois se base surtout sur les désirs de Michel de Crayencour, elle correspondrait tout à fait à son caractère et à son style de vie (il avait déjà vécu des relations à trois auparavant), mais elle ne tient pas du tout compte de la situation concrète d'une dame de la société d'alors, qui, de surcroît, était mère d'un enfant à l'âge d'un an, ni, en particulier, de la psychologie de Jeanne. Celle-ci était à l’époque bien plus marquée par les conventions comme plus tard. 11. Il en va de même avec le poème de l’été 1904. D’abord, il n’est pas certain que M. Y. ne l’ait pas écrit elle-même pour l’attribuer ensuite à son père, pour les besoins du roman. Par ailleurs, cela peut être le témoignage des sentiments passionnés de Michel mais n’indique nullement un sentiment réciproque. Il s’agit donc uniquement d’une supposition reprenant une interprétation littéraire de Yourcenar, lorsqu’elle affirme qu’ une idylle se noue pourtant entre ces deux êtres entre Michel et Jeanne. (p.12) 12. La datation des photos de Marguerite et d'Egon à la plage de Scheveningen doit se baser sur l'âge apparent des enfants. Le poème mentionné n'est même pas nécessaire, puisqu'il a pu être écrit auparavant, pour autant qu’il ait vraiment été écrit par Michel. A l'été 1904, Egon était âgé d'une année et demie tout au plus, ce qui ne correspond pas au bambin à la plage; la photo, selon les avis de plusieurs mères, montre un garçonnet de deux ans et demi et une fillette de deux ans. Ainsi la photo date d'été 1905. (p.30) 13. La datation probable de la photo montrant Jeanne et Fernande, toutes les deux debout, en compagnie d'une amie assise au milieu (p.14) documente seulement que les trois se sont rencontrées autour de 1902, peut-être même à l’occasion des noces de Jeanne et Conrad (ou juste avant ou juste après). Cela ne peut nullement être la preuve d'un contact soutenu entre les deux couples, et encore moins d'une relation naissante entre Jeanne et Michel. 14. Egon de Vietinghoff peignait de manière figurative, mais non de manière naturaliste. Il tenait beaucoup à cette différence. Dans son manuscrit "L'Essence des Beaux-arts", il définit la différence entre l'acte de copier avec méticulosité et celui de créer librement, porté par la "fantaisie voir intuition artistique" (texte publié en allemand sous www.vietinghoff.org, et traité en français dans le chapitre "Philosophie"). Il appelle cette façon de peindre la "peinture transcendantale". Il l'avait découverte en étudiant ses modèles, Rembrandt, Rubens, Hals, Titien, Chardin, Velasquez, Goya et Turner. Par l’art "naturaliste" il entendait un travail technique consciencieux, un copiage plus ou moins réussi, alors que l'évocation mue par la libre fantaisie d'un événement intérieur, vues durant une immersion quasi-méditative, avec son expérience dramatique de forme, couleur et lumière était ce qu'il désignait par l'art "transcendantale". Art figurative et ressemblance avec la nature ne sont pas identiques au naturalisme. Dans ce sens l'art d'Egon de Vietinghoff n'est pas naturaliste. (Voire les chapitres correspondants sur www.vietinghoff.org). 15. La Fondation Egon von Vietinghoff a été créée par l'artiste lui-même le 8 mars 1989, et non de manière posthume par son fils Alexander. Le peintre est décédé plus tard, le 14 octobre 1994. |
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