Chronologie de la Biographie
Anecdotes

 

Souvenirs

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Souvenirs

Tous les textes de ce chapitre sont des notes d'Egon de Vietinghoff à la première personne. C'est pourquoi il n'y a pas de guillemets. Les commentaires de la rédaction sont imprimés (entre parenthèses) et en caractères italiques.
 

Egon de Vietinghoff Pour celui qui n'est pas particulièrement doué pour l'écriture, les événements même les plus prodigieux ne peuvent être rendus que par la description banale de leur aspect extérieur. C'est pourquoi chacun devrait s'abstenir de se lancer dans une (auto)biographie. L'aventure la plus romanesque se transforme alors en effet en chronique dépourvue de vie. (Néanmoins,) pour celui qui l'a vécue, elle peut présenter un intérêt par le truchement du souvenir. Dans le meilleur des cas, l'auteur arrive à amuser le lecteur par le récit de situations insolites.
(Egon de Vietinghoff)
 

Souvenirs d'enfance

Egon de Vietinghoff Egon de Vietinghoff J'ai toujours beaucoup voyagé. A peine né, j'étais balancé entre la Hollande et Paris dans un hamac de fortune suspendu entre les filets à bagages d'un compartiment de chemin de fer. Enfant, j'étais déçu de ce que, la frontière franchie, le nouveau pays ne se distinguât pas par une couleur différente – comme le voulait mon atlas... Et le fait que le contrôleur perçât nos billets, alors que je savais que, ce faisant, il les annulait, constituait pour moi un cassetête, puisque nous avions encore un long voyage en perspective.
 

 Alexis de Vietinghoff, frère cadet d'Egon Egon et Alexis, Pastel Mon frère possédait une collection d'ours en peluche, différents les uns des autres par leurs couleurs et leurs expressions. Il les répartissait sur le rebord de la fenêtre, les accoudoirs et les filets mais, au moment de quitter le train, il oubliait régulièrement de les rassembler. Pour ne pas les abandonner à un sort imprévisible, mon père devait retourner en courant vers le train encore en gare, et éviter la tragédie en rassemblant toutes les peluches, ce qui manquait de le faire rater la correspondance. Les larmes de mon frère stimulaient sa précipitation et les oursons atterrissaient sains et saufs dans les bras de l'enfant.
 

Wiesbaden, Etablissement thermal et parc Mes parents étaient des êtres très modestes et chacun à sa manière se distinguait par une grande force de caractère due à de profondes racines éthiques. En raison de leurs origines, ils ne manquaient pas d'entretenir tout naturellement des liens avec une société choisie. Toujours prêts à rendre service, ils réunissaient chez eux artistes et autres personnalités cultivées. Ils organisaient ainsi parfois des concerts chez eux. Le rayonnement spirituel de l'un comme de l'autre en faisait des invités recherchés aussi longtemps que ma mère fut en bonne santé.
 

Wiesbaden, Parc thermal Je me souviens d'un repas chez l'Empereur d'Allemagne Guillaume II (lors d'une visite qu'il fit à Wiesbaden, notre demeure d'alors), où mon petit frère et moi-même fûmes également invités. Guillaume II se rendait souvent dans cette ville d'eaux et nous, les enfants, assistions toujours à ces défilés. Alexis avait peut-être 6 ans, et n'était pas encore très sensible au raffinement de la table impériale. Troublé par l'abondance des plats aux noms impressionnants pour lui, et regrettant l'absence de ceux auxquels il était habitué, il manifesta soudain son déplaisir par cette critique plutôt mal venue: "Et il n'y a même pas de fromage, ici!" L'Empereur ne l'a sans doute pas entendu, car les hôtes étaient répartis en plusieurs tablées, heureusement fort longues...
 

Souvenirs de l'école 1916-1919

Lyceum alpinum Zuoz (Dessin par Richard Wagner) Zuoz : Lyceum Alpinum Zuoz
Swiss International Boarding School


Le samedi soir, on réglait les différends de la semaine entre les élèves, qui avaient été scrupuleusement enregistrés. Comme je ne supportais pas de voir que les petits étaient les victimes des grands, et qu'il m'arrivait d'intervenir dans leurs bagarres, j'avais à subir les tourments de quelques adversaires parmi les aînés. Cette heure des règlements de comptes a sans doute contribué à décider mes parents de me faire passer du statut d'interne à celui d'externe, ce qui améliora considérablement ma situation. Je logeai dès lors dans une famille qui possédait une maison située au-dessus du lycée.
 

Zuoz, Lyceum alpinum en été Quelques élèves y logeaient également, ainsi qu'une très jolie Rhénane plus âgée que nous. J'admirais son teint clair, translucide, et j'enrageais de ne pas encore être adulte comme elle. Un trop grand écart entre l'âge effectif et le développement hormonal peut avoir des conséquences douloureuses, car l'euphorie d'un adolescent précoce, comme celle d'un vieillard amoureux, reste sans effets, tandis que le poids attribué à l'âge échappe à l'intéressé lui-même. Heureusement pour moi, j'étais tellement occupé à construire avec d'autres élèves un toboggan qui devait nous amener en quelques secondes au lycée qu'il me restait peu de temps pour m'apitoyer sur mon chagrin d'amour.
 

Zuoz, Lyceum alpinum en hiver Je me trouvai soudain confronté à une situation peu commune: l'engagement de brève durée d'un maître dont une profonde cicatrice sur le crâne attirait l'attention. Lorsqu'il entendit mon nom, il parut ébranlé. De retour à la maison, je dis son nom à mes parents qui se montrèrent très inquiets: cette cicatrice provenait d'un coup d'épée (ou de tisonnier) que lui avait asséné mon grand-père (Arnold Julius von Vietinghoff) pour se défendre durant la révolution russe de 1905. Il avait depuis passé du rôle de chef (d'un groupe de révolutionnaires) à celui d'enseignant (et avait lui aussi émigré en Suisse en raison des événements et des troubles dans les provinces baltes).
 

Zurich Zurich

... Il (un maître) me mit à la porte de la classe et me laissa attendre la prochaine heure dans le couloir. Je ne sais toujours pas pourquoi mon attitude face à cette humiliation me gagna le respect de mes condisciples et me valut un rapport pour ainsi dire amical avec notre professeur de mathématiques. Il m'invita plus tard souvent chez lui et, lorsque j'étais devenu peintre, m'acheta des tableaux. Quant aux mathématiques, elles sont restées pour moi sibyllines jusqu'à ce jour.

J'étais mauvais en dessin car les devoirs qu'on nous donnait m'ennuyaient. Un jour, le professeur me traita même d'imbécile, parce que je ne m'en tenais pas à ses directives.
 

Maroc 1920/21

Maroc A.(mon compagnon de voyage) était un curieux personnage; je l'aimais bien, mais il était de caractère sombre. Après cette séparation bizarre (cf. le sous-chapitre "Anecdotes"), je ne pensais plus au Congo, mais mon humeur vagabonde me poussait à continuer et je décidai d'aller au Maroc. J'avais rapidement déniché un petit cargo dont le capitaine, moyennant quelques sous, accepta de me prendre à son bord jusqu'à Ceuta. Le soir, lorsque j'arrivai sur le quai, j'avisai sur le pont plusieurs personnages louches qui eux aussi avaient apparemment eu l'intention de traverser le détroit à bon compte. Ils campaient sur des piles de caisses et jouaient aux dés. Je m'assis tout à l'avant. Les derniers chargements furent amenés à bord et les ouvriers du port rétribués.
 

Maroc Après que tous ceux qui ne faisaient pas la traversées eurent quitté le bateau, ce fut cette activité fébrile et de routine qui m'a toujours impressionné, ... comme lorsque j'arrivais un peu trop tôt au théâtre, que je voyais les places être lentement occupées et que se rapprochait le moment solennel du lever du rideau. Les lumières allaient bientôt s'éteindre et le lourd tissu laisser la place à un monde fantastique. Le petit trou derrière lequel on pouvait de temps en temps deviner un œil, et la faible lueur qu'il laissait passer ne permettaient même pas de déterminer la couleur de la lumière qui allait éclairer la scène. Quel merveilleux sentiment que d'être assis en face de ce mystère et d'avoir la certitude que l'instant où il serait élucidé était inéluctable et toujours plus proche!
 

Maroc, Porte d'une ville Maroc, Place animée Le bateau s'éloigna lentement du quai, les amarres qui l'avaient retenu s'allongeaient avant que leurs bouts ne claquent dans l'eau, et qu'elles ne soient habilement et soigneusement enroulées sur elles-mêmes. La machine battait à grands coups réguliers dans la nuit, tandis que quelques dauphins joueurs nous accompagnèrent longtemps de leurs sauts impressionnants.
 

Maroc, désert J'étais perdu dans le monde scintillant des étoiles ... lorsqu'un vieil Arabe ... que j'avais vu au milieu des joueurs, s'assit auprès de moi et me demanda si je savais comment on peut déterminer l'heure d'après la position des étoiles; comme je lui répondis négativement, il me le montra, puis me demanda ce que je pensais faire au Maroc. Il réagit avec effroi, encore que sur un ton paternellement moqueur, lorsqu'il apprit que je pensais voyager à pied, seul, dans un pays qui se trouvait en état de guerre.
 

Maroc, L'Atlas C'était en 1920, et la guerre du Rif avait en effet atteint son point culminant. Puis il me dépeignit avec émotion la situation, la haine vouée par les Arabes à tout Européen quel qu'il soit, et me prédit que j'aurais la gorge tranchée dès le premier jour, ou que je disparaîtrait pour toujours dans l'une des nombreuses tours qui décorent les collines de ce pays si hospitalier. Il parlait tranquillement, et sur un ton neutre; je ne pouvais mettre en doute ni ses bonnes intentions ni la véracité de ses dires et je me voyais dans la désagréable situation soit de devoir chercher à Ceuta un vapeur pour mon retour, soit de payer fort cher mon goût de l'aventure..
 

Berbère avec son chameau J'étais désemparé ; ce que voyant, mon paternel Arabe me proposa de voyager avec lui dans son pays. Il devait se rendre dans différents petits villages (je n'ai jamais su dans quel but) et voulait m'emmener à deux conditions : la première était que, à Ceuta, je m'affuble de vêtements arabes corrects, afin de n'être pas repéré de loin comme un Européen, et la seconde, que j'apprenne par cœur le premier verset du Coran, afin de disposer favorablement les Arabes à mon égard. Il va de soi que j'acceptai joyeusement ces conditions, et je passai la nuit en m'exerçant à prononcer les sons gutturaux compliqués de la langue arabe. J'ai regretté par la suite de n'avoir aucune occasion de continuer cet apprentissage, car la beauté des vers généreux et âpres du Coran, que mon compagnon répétait constamment avec vénération durant le temps que nous passâmes ensemble, suscitèrent rapidement mon enthousiasme. A Ceuta également, où nous restâmes deux jours, j'étudiai avec assiduité, et mon Berbère barbu me corrigeait avec une patience d'ange.
 

Maroc, Paysan montand à l'âne Le rideau était donc déjà à moitié levé. Sur un monde inconnu, bariolé, éblouissant et pourtant sévère. Des créatures sèches, de grande taille, chevauchait de petits ânes. Leur burnous les recouvrait entièrement. Leurs jambes nues pendaient sur les flancs des bêtes, de très grandes pantoufles plates recouvraient leurs orteils, et leurs talons traînaient négligemment sur le sol. Lorsqu'ils se rencontraient, ils commençaient par se toucher silencieusement et réciproquement le front, puis portaient leur main vers leur bouche. Après quoi, ils se lançaient dans des palabres déchaînées. Les voix devenaient de plus en plus aiguës; ininterrompues et murmurées, émettant soudain des sons presque imperceptibles, pressés, hachés, gutturaux, en donnant une note dominante aux voyelles rares et stridentes. Telle était aussi leur musique. Elle passait sous ma fenêtre comme la voix d'un monde désertique, mauvais et mystérieux. De sourds battements de tambour syncopés, que de petites flûtes et des cornemuses dominaient par leur jeu chatoyant, éclatant et néanmoins infiniment nuancé. Un jeu qui ne pouvait jamais s'arrêter...
 

Paris 1923-1933

Paris, vue vers Sacré Coeur Les amis, les "amis" et les confrères

Comme mon atelier était très spacieux, je passais pour un richard (au royaume des aveugles, les borgnes sont rois), et fus par conséquent largement exploité. Une nuit, un Péruvien que je connaissais un peu me réveilla en frappant à ma porte. C'était un prince Inca, marié à une danseuse. Je le fis entrer et il se mit aussitôt à inspecter mon atelier en le parcourant de long en large. Je l'interrogeai sur ce qui l'amenait, et il me répondit qu'il cherchait une petite table qu'il voulait brûler, car ils n'avaient plus de combustible à la maison ...

Mais les expériences que je fis avec des confrères ne furent pas toujours aussi cocasses que celle-là. Tous les moyens sont bons pour les envieux qui cherchent à obtenir des avantages au détriment de ceux qu'ils jalousent. Ainsi, l'un d'eux m'emprunta «pour quelques heures» mon aspirateur – que je n'ai jamais revu. Un autre, devenu par la suite un peintre très coté, réussit à vendre mon grand tapis persan sous le prétexte de le faire nettoyer chez un spécialiste de sa connaissance.

J'hébergeai aussi des mois durant un camarade qui avait été congédié par le propriétaire de son atelier. Lorsqu'il me débarrassa enfin de sa présence, je constatai la disparition d'un certain nombres d'objets dont il pensait apparemment avoir plus besoin que moi. Je ne revis jamais non plus l'argent que je prêtai à quelques camarades passés maîtres dans l'art de taper les naïfs. On comprend qu'après de telles expériences, mon opinion sur la confraternité entre artistes n'ait pas été particulièrement positive.
 

L'écriture d' Egon von Vietinghoff's, Mémoires de Paris - 1 Et pourtant, ma situation n'était pas aussi brillante que certains l'imaginaient. Il y eut des périodes de vaches si maigres que je dus me serrer sérieusement la ceinture. Lors d'une période où j'étais particulièrement désargenté, je me rendis dans une sorte de cuisine populaire pour intellectuels. Elle portait le nom d'un grand poète
 

L'écriture d'Egon de Vietinghoff, Mémoires de Paris - 2 Les parois étaient tapissées de réclames vantant l'idéalisme qui poussait leurs entreprises à mettre généreusement leurs nouilles, leurs haricots ou leur compote de quetsches au service de l'élite spirituelle française en devenir («gracieusement mis à la disposition de ...»). Cette élite spirituelle, totalement affamée, était alignée devant de longues tables, entre lesquelles circulaient des «videurs» qui estimaient d'un œil soupçonneux le nombre approximatif de couteaux et de fourchettes sur les tables. Chaque fois que je quittais ce local hanté par des intellectuels, j'étais couvert de puces.

Im Atelier fand ich einen Zerstäuber und einen Rest Insektenvertilgungsflüssigkeit, die ich mir unter die Jacke spritzte, bevor ich die Literatenküche wieder betrat. Zu meinem Erstaunen rückte die ganze geistige Elite von mir ab und hinterliess gähnende Leere um mich herum. Offensichtlich waren ihre gerümpften Nasen sprayempfindlich.
 
     
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